Voyage au pays du jeu de go

Publié le par Blaise Emmanuel



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Introduction

Si les géographes devaient avoir un jeu propre à leur dis­cipline, le jeu de go s’imposerait à eux comme une évi­dence délicieuse. Car ce jeu qui se joue en Chine depuis plus de 4000 ans, est un jeu entièrement dédié à la maî­trise de l’objet même de la géographie : l’espace et ses territoires. Avec des éléments aussi basi­ques que le bois et la pierre, le noir et le blanc, et des règles on ne peut plus sim­ples, le go construit un espace virtuel aux possi­bilités infinies, constituant une gigantesque métaphore du monde non pas seulement symbolique, mais aussi interac­tive, puisque l’on peut « jouer » avec.

Contrairement aux autres livres sur le jeu de go, celui-ci n’est pas à la recherche des stratégies principales assu­rant la victoire, il n’est pas destiné aux joueurs che­vron­nés en quête d’avancements théoriques dans la connais­sance très profonde que l’on peut avoir des infinis méan­dres du jeu, il n’a pas la prétention d’améliorer les per­forman­ces du joueur qui en prendrait connaissance, bref, le présent texte sur le jeu de go n’est pas un texte de tactique de jeu. Il se veut être une analyse de la spatia­lité du go, où le géographe s’interroge, pour l’intérêt de la géographie, sur la nature de l’espace simulé par le jeu de go et sur les mécanismes et les dy­namiques des cons­tructions terri­toriales qu’il met en œuvre, ce qu’aucun autre ouvrage n’a, à notre connaissance, mis à jour de manière explicite. Il se veut aussi, bien sûr, introduction et initiation aux principes de base d’un jeu qui gagnerait à être plus connu en Occident. Ce livre n’est pas une in­troduction au jeu du go, bien que sa lecture permet au lecteur de poser sa première pierre, mais une incitation à découvrir une espace unique qui lui vaudrait bien plus que le titre de patrimoine de l’humanité.

Enfin ce texte est aussi une incitation à sa découverte pour ce que le go nous plonge au cœur de la Chine, puis­sance mondiale du futur, au cœur de sa traditionnelle per­ception du monde, similaire à celle épousée par tout l’Orient sous des expressions différentes.

Un tel objet relève d’un intérêt particulier pour cette branche peu parcourue qu’est l’ethnogéo­graphie, dans la mesure où, lors de ce voyage dans l’espace du go, nous allons y rencontrer une représentation culturelle et cos­mologique de l’espace, différente de celle de notre héri­tage gréco-romain qui gouverne notre perception occi­dentale du monde. Etudier l’espace, les territoires et les lieux du go c’est nécessairement rentrer au cœur d’une certaine perception « orientale » du monde.

En effet, le jeu de go corrobore le modèle chinois de re­présentation de l’espace qui préside à l’organisation clas­sique tant des villes que du découpage des provinces de l’empire chinois. Ces organisations admi­nistratives de la Chine antique semblent être à l’image de la mathémati­que constitutive du jeu de go. Les notions de centre et de périphérie, par exemple, sont ici particulières et diffé­rentes des nôtres, puisque à l’inverse de chez nous, c’est la périphérie du jeu qui a de la valeur, alors que le centre, tout du moins au début de la partie, n’a aucun intérêt. Ensuite, c’est le fait que, dans cette vision chi­noise du monde, la vie et la mort des pierres du jeu (et des différents territoi­res) sont intrinsèquement liées à la définition de l’espace.

Modèle de l’espace, le go est en même temps modèle de la relation entre les acteurs dans l’espace. Contrairement à l’apparente binarité du jeu, nous sommes ici dans une relation ternaire ou triangulaire, entre soi-même, l’autre et l’espace. Le jeu de go est un modèle opérant et dyna­mique, qui simule cette relation ternaire sous un pré­texte ludique. Nous n’avons pas, en tant qu’occidentaux, l’habitude de penser des mondes ternaires, tant nous sommes habitués à notre binarité classi­que.

Le jeu de go est beaucoup plus qu’un simple jeu, et il n’est pas « comme » le jeu d’échec. Pour un occidental qui a appris les rudiments du jeu de go, les échecs appa­raissent comme un jeu bien plus limité, où l’espace – jus­tement – ne symbolise qu’un simple champ de bataille où deux armées hiérarchisées n’ont d’autres finalités que le meurtre du roi adverse. La planche de go, elle, symbolise le combat du yin et du yang dans l’univers tout entier et dont l’issue ne se résume pas au à l’élimination de l’Autre, puisqu’un seul point (sur 180) est nécessaire pour remporter la vic­toire. Il n’est pas un jeu ordinaire non plus puisqu’il nous invite à parcourir un bout de chemin sur la voie du Tao, l’art d’équilibrer le yin et le yang en nous et hors de nous. Rechercher cet équilibre en jouant au go est la stratégie la plus sage pour prétendre à la vic­toire puisqu’il suffit d’un seul point pour gagner sur l’adversaire.

Dans ce sens, l’espace du go est un espace fortement in­vesti en Chine, en Corée et au Japon d’un caractère di­vin, et le jeu fait partie des quatre arts sacré de la Chine antique. Soumettre un objet « sacré » ou « magique » à une analyse positive n’est pas sans risque et mérite cer­taines précautions méthodologiques bien connues des an­thropologues qui ont étudié les religions traditionnelles en Afrique, au Brésil ou en Australie. Un tel objet exige plus que tous les autres, d’être saisi de l’intérieur, à partir de lui-même, et non pas à partir des prénotions et théories culturellement exogènes qui limiteraient le point de vue au point de nous faire manquer l’essentiel en comparant mécaniquement le jeu avec ce qui nous est connu.

Pour réduire l’univers du go sans le trahir, une approche phénoménologique a été suivie car si le risque d’ethnocentrisme est permanent dans toute recherche, il l’est d’autant plus encore ici, et une appro­che plus sensi­ble est nécessaire pour ne pas retomber dans les travers de notre propre culture qui privilégie le yang au détri­ment du yin, l’esprit de calcul au détriment de « l’esprit de finesse », l’explication au détriment de la compréhen­sion. Car toute la sagesse orientale – qui émane du jeu de go – repose sur la notion d’équilibre entre ces deux postu­res élémentaires.

Le texte est ainsi sous-tendu par deux volontés. La pre­mière prétend, à travers différentes traversées thémati­ques pertinentes, à l’extériorité du chercheur pour for­muler des pro­positions  générales et vérifiables sur le go en tant qu’objet séparé du chercheur, extérieur à lui. La deuxième en revanche est « égocentrée », ne tient pour vrai que ce que le chercheur a réelle­ment expérimenté, et cherche à travers ces données une compréhen­sion du jeu de go et de sa territorialité. Elle veut rendre compte du rapport que le chercheur entretient avec son objet afin de rendre transparent le « point de vue » de l’auteur. Cette composante introspective est plus Yin alors que l’autre est plus Yang pour ce qu’elle cherche à expliciter le jeu et les dynamiques territoriales qui s’y développent.

Pour satisfaire à ces deux volontés épistémologiques, le texte se compose comme un récit à la première personne du singulier, cherchant à rassembler les acquis d’une ex­périence du jeu de go de plus de 25 ans. Il essaye ainsi de relater et décrire les moments forts qui ont marqué cette histoire pour montrer l’évolution de la perception que j’en avais à mesure que ma pratique se dévelop­pait, un  peu comme un récit de voyage qui fasse ressortir les points essentiels « à ne pas manquer sous aucun pré­texte » pour comprendre la dynamique spatiale qui s’opère sur un jeu que beau­coup d’auteurs qualifient de « modèle du monde ».



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Publié dans Histoires de boulots

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